Regard sur les films – Marion Jhöaner, Présidente du Jury jeune 2024

Marion Jhöaner – Réalisatrice, présidente du Jury Jeune

Pendant trois jours, avec Romy, Hélène, Titouan, Enzo et Douglas, nous avons voyagé en Inde, en Sibérie, au Canada, à Madagascar, au Sénégal, à Wallis et Futuna et encore ailleurs. Que ce soit pour les garçons qui sont en train de devenir pêcheurs, ou pour les filles qui sont lycéennes ici, et pour moi en tant que réalisatrice, ce tour du monde nous a permis de rencontrer des pêcheurs aux modes de vie très différents, et qui sont pourtant tous traversés par une même question :

Faut-il céder à la promesse de l’argent facile ou prendre en charge, de manière individuelle, les questions éthiques – à la fois environnementales et sociales – des pratiques de la pêche ?

Ce dilemme qui oppose l’économie libérale à une juste gestion des ressources traverse la grande majorité des films qui ont été présentés dans cette édition. La pêche artisanale, pensée par des pêcheurs comme Baptiste dans le Cotentin, ou Rakesh à Mumbai, sont fragilisés par une logique industrielle qui paraît vider le métier de pêcheur de son sens.

Dans Against the Tide, on voit que l’illusion d’un enrichissement matériel, que fait miroiter la pêche industrielle, appauvrit les cultures et les identités locales. Et bien évidemment la mer, dont la faune n’est pas en quantité infinie. En puisant toujours plus dans les ressources, les pêcheurs chinois de Squid Fleet ne deviennent qu’un rouage dans une machine monstrueuse et inarrêtable, et se coupent de leur relation avec la nature et le non-humain.

Tous les films font état d’une prise de conscience. Mais elle paraît incomplète ; pour les pêcheurs, assumer seuls la responsabilité d’une pêche plus respectueuse est une décision écrasante qui les maintient dans la précarité. On s’interroge sur le manque d’une remise en question pleinement collective, dans ce monde ainsi globalisé.

Un sentiment inquiétant plane aussi autour de ces histoires. C’est le désert aride en Ouzbékistan, dans Once there was a sea ; ce sont les morses épuisés de ne plus trouver de banquise dans Haulout. C’est le nourrisson malade que ses parents n’arrivent pas à soigner dans Against the Tide, encore. C’est aussi ce constat, « la mer est vide », qui résonne d’un film à l’autre, d’un bout de la planète à l’autre. Ce vide, dans ce qui représente 70% de la surface de notre planète, est franchement angoissant. Comment ne pas penser aux propos d’Aurélien Barrau qui, comme tant d’autres scientifiques, fait état de l’effondrement généralisé de la vie sur Terre…

Et c’est là que l’apparente rudesse d’un film comme Piblotko devient une manière à penser autour de cette question de la mort. On assiste à la découpe d’une baleine, on découvre ses viscères, son sang rouge vif qui colore les mains des chasseurs et le ressac de la mer. Des enfants jouent avec les dépouilles d’oiseaux, probablement avant que leurs parents ne les déplument pour le repas. Un homme replace les pierres sur une sépulture, qu’un ours polaire a enlevé pour se nourrir de la dépouille. Ces scènes nous dérangent, peut-être parce qu’elles montrent un rapport banalisé et direct à la mort.

Mais je me suis demandée si ce n’était justement pas là que résidait une partie du problème, dans ce refus, pour nous, de voir la mort en face et de considérer notre finitude. Peut-être que notre désir de prendre toujours plus de ressources, d’aller toujours plus loin, de consommer de manière insouciante traduit dans nos sociétés occidentales un désir de toute-puissance qui nous aveugle sur la réalité de l’éphémérité de nos existences.

Car entre les sociétés industrielles dans lesquelles nous vivons, et celles où les existences humaines et non-humaines sont inséparables, lesquelles sont les plus mortifères ? Celles qui s’affranchissent et s’opposent à la nature, ou celles qui assument en faire pleinement partie ?

Peut-être que tout ce que je viens de dire enfonce des portes ouvertes, mais ce sont ces réflexions qui ont émergé au fil des visionnages. La diversité des approches des films que nous avons vus nous a permis de réaliser la complexité des aspects économiques, environnementaux et sociaux du métier. Ces constats nous donnent l’impression qu’il est aussi nécessaire, au niveau collectif et international, de questionner les valeurs sur lesquelles on s’appuie pour construire nos existences.

Nos sociétés occidentales gagneraient peut-être à s’inspirer des peuples autochtones traversés par des perceptions du monde connectant le Vivant, la mort, l’humain et le non-humain – pour trouver une forme d’humilité et pouvoir accepter, pour reprendre l’expression malgache entendue dans le film Sans Terre ni mer, que l’Homme est « une espèce comme les autres ».

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